2003 LONGTEMPS JE N’AI FAIT QUE DES AUTOPORTRAITS, pastel sec sur carton
Je sais ce qui m’a fait peintre et pourquoi le portrait a pris pour moi une importance essentielle.
Une vieille douleur, une impossibilité de regarder l’autre dans son enfermement, l’enfermement de sa forme, de son visage, de sa vie. J’ai pris le parti de la combattre dès que j’ai eu des armes : un crayon, du papier.
Voilà pourquoi j’ai choisi l’Autoportrait de Maurice-Quentin La Tour que je choisis de l’accompagner, de risquer ma tête à moi avec lui, de l’entourer d’autres visages. Des visages que j’ai voulu faire émerger de leur disparition, de leur absence, visages issus du foyer d’hébergement Emmaüs de l’Hôpital Sainte-Anne au cours de l’été 2000. Il y avait là vraiment une urgence absolue du portrait dans le siècle.
Le XVIIIe siècle était un siècle de grande pauvreté, de grande errance. Les philosophes agitaient cette question. Maurice-Quentin est mort avant la Révolution française. Il a connu et peint les Grands de la Cour.
Mais il a connu également ce questionnement sur la pauvreté et peu avant sa mort, il créa une fondation charitable et une école de dessin toujours active.
Les gens en errance perdent très vite leur visage, ils deviennent des silhouettes. « Il y a bien longtemps que je ne me suis pas regardé »…
Ils n’ont plus qu’un poids sur les épaules et leur regard est furtif. Les faire poser, c’était travailler ensemble à la renaissance de leur visage et de leur regard, les ramener à la présence d’eux-mêmes.
Un travail du tout début du XXIe siècle, en hommage à la puissance du regard et de la vie dans l’oeuvre de Maurice-Quentin La Tour.
Anne Gorouben, Paris, septembre 2004, extrait de LONGTEMPS JE N’AI FAIT QUE DES AUTOPORTRAITS