J’ai croisé Laurent à l’accueil : « Ah c’est toi qui fait des dessins, tu peux m’en faire un ? ». Il a posé sur le banc d’attente des consultations médicales au Rez-de-chaussée. Il a derrière lui 20 ans de rue et comme souvent, je suis désemparée d’apprendre qu’il a 10 ans de moins que moi. Il me parle du jardin du Samu. Laurent c’est un pilier de L’ESI – espace solidarité insertion. Il rêve de la Souterraine, lieu perdu dans la campagne de la Creuse, où le Samu possède une immense bâtisse où l’on peut partir quelques jours. Il veut vivre dans la nature, il est fait pour ça. Hier, il a nettoyé le jardin du Samu : « Je connais toutes les planques, je sais tout, je ramasse tout ».
Quand je le croise, il est intarissable, et je dois abréger la conversation car j’ai du travail « en haut ». Il est fier me dit-il de son portrait. Je lui ai donné comme à tous une copie laser dédicacée.
Monsieur Aïch est très silencieux. Il est content de ma proposition. Son inquiétude sourd de toute son attitude. Il se courbe pour ne pas se faire remarquer. (Ce n’est pas lui qui essaierait de changer le programme télé). Et puis un jour, lorsque je lui demande son prénom, il devient jovial, familier. Sa solitude est une attitude : ne pas se faire remarquer, ne pas prendre de coups. Ne presque pas exister pour survivre.
Marianne est très « fleur bleue », sa vie est très dure, mais elle ne croit qu’en la rencontre passionnelle. La deuxième fois que je la dessine, elle est totalement absorbée par « Les feux de l’amour ». Marianne a une grande cicatrice sur la joue gauche : un coup de cutter il y a 5 ans qui ne lui était pas destiné. Elle est sortie cet après-midi avec Ghislaine. Elles ont pas mal bu. Elle me demande des cigarettes et pose, malgré les plaisanteries et quolibets de Momo et Marc, revenus entre temps. Tout le monde est devant la télévision, l’excitation est générale.
Anne Gorouben, extraits de TU N’AS RIEN VU AU SAMU SOCIAL, 2005